Merci à Benoît Guiffray (membre
de l’Association pour la Sauvegarde et la Valorisation de
Fort Barraux) pour sa contribution.
Depuis 1688, la France est engagée
dans une guerre qui va durer 9 ans, alternativement ponctuée
de victoires et de défaites. Au cours de l’année 1692,
Victor Amédée de Piémont occupe Embrun et Gap tandis que
les armées françaises s’installent en Bavière, traversant
Heidelberg et le Palatinat pour sauvegarder l’Alsace et que
le Maréchal de Catinat entre en Savoie et dans le Comté de
Nice. Louis XIV a demandé à Vauban de renforcer la
protection des frontières orientales du Royaume. Ce dernier
les a aussitôt visitées et, dés son retour, a rédige un mémoire
pour chaque place forte. Ils sont archivés au Service
Historique de l’Armée de Terre installé dans le Pavillon
du Roi du Château de Vincennes.
Les observations et
recommandations concernant le Fort Barraux sont retranscrites
ci-après en respectant l’orthographe d’origine. La
pagination et la ponctuation ont été un peu modifiées pour
en faciliter la lecture, (par exemple, dans le texte original,
il n’y a qu’un seul point de ponctuation, celui que l’on
trouve in fine.
7 octobre 1692
:
LE FORT BARRAUX est situé à
l’embouchure de la vallée Grésivaudan du costé de Chambéry
sur la frontière de Savoye, à deux petites lieux de Montmélian,
trois grandes du dit Chambéry et cinq et demy de Grenoble; ce
fort fut commencé par le Duc de Savoy Charles Emmanuïl dans
le commencement du reigne de Henry le Grand et surpris quelque
temps après par le duc de Lesdiguière pour lors gouverneur
du Dauphiné, dans le temps que sa fortification était déjà
considérablement avancée mais très imparfaite, ou depuis
que nous l’avons conservé avec toutes ses imperfections, et
ce n’est que depuis 4 ou 5 ans qu’on a eu quelque
attention un peu considérables pour luy; ces défauts
consistent
1 ment en sa figure très
diffectueuse et qui pourrait estre incomparablement meilleure,
si ceux qui en réglèrent les projets eussent sceu ce
qu’ils faisaient,
2 ment en ce qu’elle n’a
point de pont sur l’Izère, ce qui fait que moitié de cette
vallée demeure à la discrétion de l’ennemy qui peu impunément
exercer des actes d’hostilités dans le Dauphiné, sans que
ce fort luy puisse donner aucune traverse,
3 ment en sa petitesse incapable de pouvoir contenir sa
garnison ny les munitions nécessaires à une bonne diffence,
loing de pouvoir ayder une offensive,
4 ment en ce qu'elle n’a point à beaucoup près, les
bastiments qui lui sont nécessaires, manquant de cazemates,
magazins, arsenaulx, boulangerie, logement d’officiers etc,
c'est à dire qu’il y a tout cela, mais en quantité si médiocre,
d’une qualité si mauvaise et dans un si pitoyable
arrangement qu’autant vaudrait qu’il n’y en eut point,
5 ment en ce que la fortification en a esté très mal dirigée
plusieurs de ces pièces estant très mal diffendues, les
revestements si mauvais et tous les bastions baissant des épaulles
au de manière même à donner prise aux enfillades, ce qui
est directement contre les bonnes règles de la fortification,
qui veullent que tous les angles saillants donnent place
seulement quelque chose de plus que les rentrants,
6 ment en ce que les fossés ont très peu de profondeur, et
7 ment en l’inégalité du dedans de la place qui est brute
et pleine de haut en bas comme il estait avant sa
fortification,
tous ces diffauts proviennent du premier tour de main qu’on
luy a donné, et du peu de cas qu’on en a fait depuis
qu’elle est au roy, car du surplus la situation est bonne et
la place qu’elle occupe si judicieusement choisie qu’elle
s’est trouvée aussi avantageuse pour faciliter l’entrée
dans le pays ennemy, et empécher celle du Dauphiné comme
elle l’airait esté pour faire tout le contraire si elle
estait demeurée entre les mains de Mr de Savoye, et quant
tous les diffauts cy dessus seront corrigés comme il est
proposé par le projet, on pourra dire bien seurement et sans
se tromper, que les avantages du Fort Barraux seront ou de peu
différant tant que Montmélian sera au Roy mais, dès qu’il
n’y sera plus, il servira de frontière au Dauphiné,
couvrira la Vallée du Grésivaudan et Grenoble , et empèchera
l’ennmy d’entreprendre de ce costé, favorisera l'entrée
de nos armées en Savoye par le costé de Chambéry et par la
Maurienne sans que Montmélian puisse empécher si le dit
Montmélian n’estait plus, il serait à notre égard en ce
pays la, ce que ces deux places ensemble pourraient faire à
présent avec cette différence que Barraux nous assujettirait
la Savoye, du moins ce qu’il y a de meilleur dans ce pays au
lieu que Montmélian la protege encore contre nous, et donne
l’audace à son Duc de nous faire la guerre et d’entrer
dans des alliances très contraires aux intérest du Roy à
quoy on peut adjouter que si Montmélian n’estait plus, le
fort Barraux serait une place imprenable à tout ce qui se présenterait
de delà les monts tant que Grenoble serait à nous; la
circonvalation de Barraux serait très difficile, longue à
faire et encore plus à communiquer d’un quartier à l'autre
attendu que d'une part il faut occuper les hauteurs de Bayart
et de Pontchara en un coing de pays entre l'Izère et le Breda
torent impétueux qui par une grande et profonde ravine,
divise nécessairement les quartiers de delà l'eau, en
deux qu’il faudrait par conséquent fortifier séparément
et occuper du costé de Barraux non seulement le plat pays de
la Vallée, mais encore des colines esloignées et remonter
une circonvalation le long des deux grandes arreste sur le
haut des montagnes cultivées ou du milieu qui sont encore
surmontés par d'autres désertes beucoup plus élancées
qu’il faudrait aussi nécessairement occuper par de bons
forts faute de quoy si une armée de secours si petite fut
elle, s’en emparait, elle chasserait infailliblement
l’ennemy des montagnes du milieu et luy ferait lever le siège
par le seul effet de son canon or cette occupation de hauteurs
si différentes diviseraient encore les quartiers du costé de
Barraux en trois quartiers incommunicables aux gens du cheval
quelque peine qu'on ne se pusse donner pour venir à bout du
contraire et cela sans y comprendre le fort des plus hautes
montagnes et des postes de Bellecombe qu’il faudrait nécessairement
occuper; des sorte que l'armée qui assiègerait Barraux
serait divisée en cinq quartiers qui ne pourraient s’entre
secourir qu’avec des difficultés infinies et subdiviser en
plusieurs autres postes détachés qu’il faudrait par nécessité
occuper et si cela n’assurait pas le siège s’il y avait
armée en campagne, parceque ce pays n’est composé de part
et d’autre de lizière que de hautes montagnes d’où on
peut descendre sur leurs pentes sans rien hazarder, le pays
estant plein de postes avantageux séparés par des ravines et
aisés à soutenir.
D'ailleurs cette place ne
sera aparamment attaquée que par son plus fort autrement il
faudrait que les troupes et leurs munitions nécessaires aux
attaques fissent la procession allentour et sous le feu de la
place ou fort longtemps avant que de pouvoir gagner la queue
des tranchées ce qui leur ferait perdre plus de monde que les
attaques mêmes.
On peut faire un petit camp
de 6: 8: ou 10 bastions entre le fort et la montagne, mettant
la droite sur la contre escarpe, la gauche à la montagne, une
grande et profonde ravine à quelque distance de la sortie du
camp, le village de Barraux derrière, une garde
d'infanterie sur le haut des montagnes du milieu et quelques
autres de cavalerie sur les petites hauteurs de la droite,
cela bien retranché et garnie d'artillerie et protégé de la
place, il n’y aurait point d’armée qui put les déplacer
de là, ny entreprendre d'entrer dans la vallée par la droite,
ny par la gauche et ce camp une fois estably, pourait
subsister tant que la guerre durerait.
Pour conclusion, le siège de
ce Fort sera bien plus difficile à Mr de Savoy que celui de
Montmélian ne nous l’a esté et on peut dire hardiment
qu’il luy serait impossible si le dit Montmélian estait rasé.
Signé, VAUBAN
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